Fêtes nationales

Je déteste les fêtes nationales et, manque de bol, je vis dans un pays où je me vois l’obligation de « fêter » deux fêtes nationales : celle du Québec et celle du Canada. La fête du Canada passe encore parce que, fort heureusement, elle tombe en même temps que celle de mon fils et, par le fait même, elle ne représente qu’un nuage vite chassé par le vent d’allégresse que me procure l’anniversaire du fiston. Mais impossible de passer à côté de la Saint-Jean-Baptiste, consacré patron des Canadiens français avant de devenir fête « nationale » du Québec en 1977. Impossible parce que tous les médias s’entendent pour nous rabâcher les oreilles avec les célébrations associées à cet événement. Parmi celles-ci, le concept de “fierté” revient comme un leitmotiv.

Or, je le confesse, depuis quelques années, j'ai un problème avec la fierté. La fierté pour soi, la fierté pour un pays dont l'appartenance d'un individu n'est dû qu'au hasard. Aurais-je davantage raison d'être fier d'être Gujarati si j'étais né au Gujarat, cet État de l'ouest de l'Inde ? Avez-vous remarqué que la fierté est devenue une tendance lourde ? Aujourd'hui, tout le monde est “fier” de n'importe qui, de n'importe quoi. Quant à moi, je ne suis pas plus fier de moi que mon ami Pierre peut l'être de lui, de ses réalisations. Certes, quand on sait d'où on vient et qu'on mesure le chemin parcouru, on peut ressentir une relative satisfaction mais, la plupart du temps, quand on se regarde dans le miroir à l'âge de la vieillesse, les raisons d'être fier s'amenuisent… Comme disait ma mère dans sa très grande sagesse, dans la vie on fait ce que l'on peut avec les moyens qu'on a. Quant à mon épouse, dont le sens de l'humour est proverbial, elle prétend qu'il faut s'estimer heureux d'être encore vivant quand on se lève le matin. Inutile de chercher plus loin.

Revenons à la fierté collective, au fait d'appartenir à une nation, surtout à une “grande nation” comme les Américains, les Russes, les Chinois, les Français même. Le Canada est un pays assez insignifiant, avouons-le. Quant au Québec, ce n'est pas même pas un pays, à peine une nation vieillissante qui ne peut que s'enorgueillir d'un passé de plus en plus lointain. Je n'arrive pas à croire qu'on entende encore et toujours ce discours du “chez nous” : il faut voir des films de “chez nous”, écouter de la musique de “chez nous”, acheter des produits de “chez nous”. À force d'aimer tout ce qui vient de “chez nous”, on finit immanquablement par se méfier de l'ailleurs, même si les partisans du “chez nous” sont toujours fourrés chez les autres quand l'hiver est un peu trop froid.

Pourtant, je vous assure, j'ai fêté la fête nationale dans les années 1970. Le 24 juin 1976, je me suis trouvé sur le mont Royal, dans cette grande messe collective, assistant aux concerts d'Harmonium, d'Octobre, d'Autr'Chose et de bien d'autres encore. Et quelques années plus tôt, j'ai été chassé par la police anti-émeute sur la Place Jacques-Cartier dans le Vieux-Montréal. J'ai eu peur ce soir-là… mais c'était grisant, je dois l'avouer, surtout que j'ai entraîné avec moi une amie sur laquelle j'avais des visées. Nous nous étions retrouvés attablés à la Crêperie bretonne, sur Sainte-Catherine à l'est de Berri. Malgré cette étiquette temporaire de “héros” qu'elle m'avait attribuée, cette histoire s'est terminée en queue de poisson, comme bien d'autres…

Tout a changé après le référendum de 1980. C'est après cette triste défaite que j'ai cessé de croire à la gloire de la nation. Depuis lors, ce que je constate autour de moi, c'est combien ce peuple québécois, sans doute né pour une petit pain, est devenu arrogant. Un peuple de parvenus devenu riche trop vite. Ce n'est peut-être pas sans raison que j'ai quitté ce pays pendant dix ans. Et l'idée de partir à nouveau s'avère toujours profondément ancrée en moi, même si je ne suis plus en mesure de le faire.

Alors, je vous laisse célébrer la nation, soulignant la fierté collective d'appartenir au Québec. Moi, je vais me voir un film indien sur Netflix et, si les voisins me laissent en paix, je me coucherai tôt.


2025-06-27 : Daniel Ducharme Mots-clés : #existence #nationalisme #société

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