Lendemain d'élections municipales
Le 2 novembre dernier, j'ai participé aux élections municipales en tant que secrétaire de scrutin. En 2022, j'avais déjà exercé la même fonction aux élections provinciales, mais la élections municipales sont à la fois plus complexes (quatre candidats par district, donc quatre bulletins de vote) et plus absurdes (qui connaît son conseiller d'arrondissement ?).
Ce jour-là, j'ai passé quinze heures assis à une table avec une vieille dame de 78 ans. À la fin de la journée, la pauvre s'est avérée incapable d'assumer ses fonctions, tellement elle était fatiguée. J'ai dû assumer le rôle de scrutateur en plus de celui de secrétaire pour boucler l'étape – très longue et assez procédurière – du dépouillement. Sans faire de l'âgisme, il y a peut-être une limite à faire travailler les petits vieux des résidences. À la sortie des bureaux, j'ai raccompagné la pauvre dame à son RPA. Elle était complètement désemparée, ayant de la difficulté à marcher. Visiblement, c'était trop pour elle, cette longue journée à expliquer aux gens la procédure du vote, répétant inlassablement le même discours jusqu'à la fermeture du bureau de vote à vingt heures.
Nous avons été mal préparé : aucun vade-mecum nous a été remis au préalable, aucun document auquel nous aurions pu nous référer pour mieux nous préparer à l'exercice de la démocratie locale. Certes, nous avons reçu deux formations, toutes deux virtuelles, toutefois, et il est vrai que, lors d'une de ces formations, nous avons pu télécharger deux ou trois PDF. Mais il aurait fallu les imprimer – vous êtes nombreux à avoir une imprimante à la maison ? – compte tenu que nous n'avions pas droit ni à un téléphone ni à une tablette, et encore moins un ordinateur. Autre absurdité : même la liseuse nous était interdit, comme si nous pouvions communiquer des résultats du vote par une liseuse ! Cela témoigne d'une méconnaissance étonnante de ces appareils.
Je suis rentré à la maison un peu avant vingt-trois heures. Une journée vécue dans un gymnase, assis sur des chaises en plastique sans aucun confort, sans voir la lumière du jour. Une journée vécue sans aucune boisson chaude aussi. Je pense que c'est ce que j'ai trouvé le plus difficile, et je regrette de ne pas avoir apporté un thermos de thé. Aux élections provinciales de 2022, le responsable des lieux nous avait offert du café et des beignes, la moindre des choses à offrir à des gens qui passent, pour un salaire dérisoire, quinze heures dans un local fermé. Franchement, l'organisme chargé d'organiser ces élections – Élections Montréal – ne mérite pas de félicitations pour le souci qu'il a démontré envers ceux et celles qui ont travaillé pour lui. Combien ça aurait coûté, une machine à café ? À la rigueur, en commander chez Tim Hortons n'aurait pas été la mer à boire. Un geste humain, quoi, qui leur a fait défaut. Ce défaut d'humanité, c'est sans doute ce que je leur reproche le plus, à ces organisateurs d'élections. Il me semble que la démocratie parlementaire n'est pas juste une affaire de goujats…
Malgré tout, je ne regrette pas l'expérience. Vivre une longue journée en vase clos, sans possibilité de communiquer avec le monde extérieur, a quelque chose de fascinant. Je dois même avouer que, dans un certains sens, j'ai aimé ça… et que je comprends mieux mon ami Pierre R. – et Amélie Nothomb ! – de vivre sans téléphone mobile à portée de main. Cette expérience m'a rappelé les cinq semaines que j'ai passées à travailler aux Jeux olympiques de 1976. Cinq semaines dont les deux dernières se sont déroulées hors du monde, une suite ininterrompue de quatorze jours à raison de quatorze à seize heures par jour où je n'ai pu communiquer avec aucun de mes amis. Au moins, nous avions du café… Et puis j'étais un tout jeune homme à l'époque.
Je n'irai pas jusqu'à la prêcher la déconnexion totale, mais je compte m'offrir, de temps en temps, une journée déconnectée. Avant même cette élection du 2 novembre 2025, j'avais déjà ralenti, laissant mon téléphone dans ma poche au lieu de l'avoir toujours à la main, comme une extension corporelle. En 2026, je vous le dis, les urgences attendront...
*** Daniel Ducharme : 2025-12-19 Mots-clés : #existence #tranchedevie