Âgisme

Cet après-midi, à la demande de mon épouse, je suis allé faire des courses au supermarché non loin de chez moi. Des aliments de base qui manquaient à la maison : du lait, des œufs, des tomates, etc. Bref, pas grand-chose, juste deux ou trois trucs. Au moment de passer à la caisse, la jeune fille m’a demandé si j’avais la carte de fidélité de la chaîne d’alimentation. Je ne l’avais pas. Non parce que je ne juge pas avantageux d’obtenir des rabais sur des achats cumulés, mais plutôt parce que je ne sais plus où les mettre, toutes ces cartes, qui finissent par gonfler le volume de mon portefeuille et, par le fait même, la poche arrière de mon pantalon. Toutefois, devant la gentillesse de la caissière, qui avait l’âge d’être ma petite fille, je lui ai demandé de m’indiquer comment je pourrais me la procurer, cette carte. Alors, elle m’a remis un formulaire de format A5 :

— Vous n’avez qu’à vous rendre sur ce site Web, me dit-elle en pointant du doigt l’adresse URL en question. Regardez là, tout est indiqué.

Pendant qu’elle m’expliquait la procédure, au demeurant fort simple, j’ai regardé sa main, douce et fine. Comme elle était jolie en sa jeunesse, cette fille aux cheveux longs ! Je me suis demandé ce qu’elle faisait à la caisse de ce supermarché. Sans doute une étudiante, car son niveau de langage m’a semblé assez bon pour une caissière. Puis j’ai chassé rapidement cette pensée de mon esprit, une pure manifestation de ces nombreux préjugés que je traîne avec moi, tout comme je traîne mon corps fatigué par les années.

Soudain, elle a interrompu ses explications et, tout en me regardant, toujours avec ce magnifique sourire, elle a ajouté :

— Mais peut-être que vous n’êtes pas très à l’aise avec l’ordinateur, monsieur. Dans ce cas, vous avez un numéro de téléphone là…

— Ça ira, lui dis-je. Je connais assez bien les ordinateurs…

J’ai pris le formulaire en la remerciant de nouveau, puis je suis sorti avec mes achats que j’avais pris soin, au préalable, de ranger dans un sac réutilisable.

En rentrant chez moi, je me suis rendu compte que je venais d’être victime d’âgisme. C’était évident, claire comme de l’eau de roche, car la jeune fille n’aurait certes pas fait cette remarque sur les ordinateurs si j’avais eu trente ans de moins. Et encore moins si j’avais payé mes courses avec un téléphone dernier cri. Mais ça ira, me dis-je. Âgisme ? Peut-être, mais je n’avais pas envie de m’en formaliser, de m’en indigner. Vous savez, on ne peut pas passer sa vie à s’indigner ! La jeune fille m’a offert un sourire et son aide de bon cœur. Elle a fait preuve de sollicitude à mon endroit. Il aurait été dommage de tout gâcher par une saute d’humeur morale. À limite, j’ai même trouvé amusant que la jeune fille ait pu penser que je ne savais pas utiliser un ordinateur, moi qui ai toujours l’air d’un monsieur.

Un vieux monsieur, il est vrai.


2025-07-04 : Daniel Ducharme #fiction #récit #vieillesse #viedequartier

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