Lecture de Proust 02 – Comment j’en suis venu à lire Proust

À l'automne 1977, alors que je débutais des études en philosophie à l'Université du Québec à Montréal, j'ai fait la connaissance d'un camarade de classe. Il devait avoir une bonne quinzaine d'années de plus que moi. Je crois qu'il m'appréciait beaucoup, sans doute un peu trop aussi parce que, craignant un dérapage, je me suis éloigné de lui par la suite. Nous avions l'habitude de nous asseoir ensemble à la cafétéria du pavillon Reed, rue Saint-Alexandre à l'ouest de Bleury. Il m'entretenait de ses lectures et de ses intérêts, notamment pour les Rose-Croix. Je n'ai jamais adhéré à ce mouvement ésotérique mais, en revanche, j'ai débuté la lecture de Proust comme il me l'avait suggéré. Cet homme s'appelait Louis. Le temps s'avère parfois d'une cruauté sans nom car je n'ai gardé aucun souvenir de lui. J'ignore ce qu'il est devenu, j'ignore même s'il est toujours en vie aujourd'hui. Il m'a invité à lire Proust parce que, selon lui, son œuvre laisse une impression durable chez ceux qui le lisent avec ferveur.

Le soir même, je me suis arrêté à la station de métro Berri-de-Montigny (aujourd'hui Berri-UQAM) et, à la librairie Parchemin, je me suis acheté Du côté de chez Swann dans la collection Folio (Gallimard). Et ce soir-là, un soir de la mi-octobre de 1977, j'en ai débuté la lecture. Dès les premières pages, je fus conquis.

J'avais vingt ans et, en dépit d'une culture littéraire acceptable (j'avais lu les grands classiques français et russes du XIXe siècle ainsi que les écrivains français dans la mouvance de Sartre, Camus et Vian), je n'avais encore jamais entendu parler de Marcel Proust et de son œuvre majeure, À la recherche du temps perdu. Alors, dès le départ, je me suis investi à fond dans cette lecture. Quelques mois plus tard, au printemps 1978, je suis même allé passer une semaine à Québec en solitaire, juste pour lire sans distraction les trois derniers tomes de La Recherche qui me restaient. J'en garde encore aujourd'hui, plus de quarante-cinq ans plus tard, un souvenir, certes diffus, mais bien imprimé dans ma mémoire fatiguée.

Cette première lecture, donc, s'est étalée sur un peu plus de six mois, soit d'octobre 1977 à mai 1978. À l'époque, je tenais un journal intime qui, bien entendu, s'avère empreint de naïveté et, sur le plan du contenu, plutôt pauvre. Et je passe sous silence sa qualité littéraire plus que douteuse… Toutefois, ce document m'est parfois utile pour dater certains événements, dont cette première lecture de Proust. En voici deux extraits. Bien entendu, les noms ont été changés pour préserver la réputation des personnes innocentes…

Premier extrait :

« Dimanche, 16 octobre 1977. J’ai fait un retour à la littérature. À cause de l’université, je ne lisais presque plus de romans, mais vendredi soir, en sortant du Robutel, je me suis acheté À la recherche du temps perdu de Proust. C’est une série de huit volumes dont j’ai beaucoup entendu parler, surtout par Louis. J’ai commencé à le lire, et je trouve que ça cadre bien avec l’automne. Ça porte à rêver et, de plus, c’est très profond. J’en reparlerai à mesure que j’avancerai dans mes lectures. »

Deuxième extrait :

« Dimanche, 13 novembre 1977. Dommage qu'Anne ne soit pas le genre de filles qui me convienne, car il est facile de l’aimer. Je ne veux pas refaire l’erreur de Swann, c’est-à-dire me rendre amoureux d’une fille qui n’est pas mon genre. Proust est vraiment un fameux écrivain. Il me fait littéralement « tripper ». J’achève le premier tome. Cette semaine, je commencerai le deuxième : À l’ombre des jeunes filles en fleur. J’aime l’aristocratie décadente que l’on retrouve dans ce roman. Elle témoigne vraiment d’une fin de siècle. Que sera notre fin de siècle à nous ? Dans dix ans, lors de mon rendez-vous avec Céline, je pourrai déjà me faire une bonne idée de cette décadence. »

Empreint de naïveté, vous disais-je… Et c'est ainsi que j'en suis venu à lire Proust.


Daniel Ducharme : 2025-06-13 Mots-clés : #essais #lecture #littérature #MarcelProust

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